How I met Lacan, par @Bealand

25 janvier 2010

Etudiante en maîtrise d’Histoire Contemporaine, je m’inscrivis aussi en seconde année de Psychologie. L’ennui, la tristesse m’accompagnaient, les livres, le savoir m’apaisaient. J’étais déjà en analyse, chez un dit-lacanien. Des amis m’entrainèrent à participer à un séminaire. Celui-ci se faisait au Café des Arts, où nous avons convié nos amis twitters pendant le RI3. A ce séminaire, je croulais sous le verbiage d’un autre dit-analyste qui pérorait, se prêtait à des associations libres, dans un « Lacan-a-dit » holophrasé agaçant. De clinique, pas, sinon la sienne exposée à ciel ouvert dans une jouissance pas voilée. De cette logorrhée, rien ne m’est resté en mémoire, sinon ses pantomimes.

Ce fut une première rencontre ratée.

Un silence de plomb s’était installé dans mon analyse, très standardisée en deux fois trente minutes tapantes. « Bonjour » « au revoir », puis un jour « L’analyse, ce n’est pas du bavardage » seuls mots de l’analyste, avaient renforcé mon symptôme, le mutisme. Je partis dans le décor, en voiture. J’en parlais en séance… même silence, mêmes trente minutes. Je quittais cet analyste ce jour-là, pas la psychanalyse lacanienne.

Je vins frapper chez celui qui est devenu mon analyste. Le premier contact fut inoubliable : il énonça la règle fondamentale de l’association libre, que je connaissais pourtant, me signifia que je n’étais pas pour rien dans cette mortification de l’analyse.

Quelques semaines plus tard, il me parla des réunions « rue Montyon » où se réunissaient les praticiens de la psychanalyse et ceux qui voulaient l’étudier. Je voulais apprendre, j’y allais. A ma demande, il me proposa deux lectures pour l’été, le Séminaire 1  et « La technique psychanalytique ». Manœuvres de l’analyste indispensables qui me permettaient d’accéder à un « Scilicet », première étape pour que se décide une responsabilité par rapport à « QueVuoï ? ». Le titre d’un article aimanta mon début de cure « Douleur d’exister, lâcheté morale ». Je m’insurgeais…

C’est la rencontre avec cet analyste, plus exactement avec son Désir d’Analyste qui m’a permis de rencontrer Lacan, son enseignement et son éthique. Pas d’éthique sans acte.

L’ECF est en plein changement. Sans suivisme stupide, c’est à cette Ecole que j’adresse mon travail et dans cette Ecole que je souhaite entrer.

Béatrice Landaburu


Une bonne entente ? par C.

7 janvier 2010

Ma rencontre avec Lacan

J’avais 13 ans. Je me souviens de ma mère repassant le linge familial en écoutant Françoise Dolto à la radio. Celle-ci était alors comme invitée chez nous, sa voix occupait tout l’espace de l’appartement parisien. Je pensais alors que cette émission était une sorte de leçon pour les mères de famille afin qu’elles apprennent à décrypter ce que leurs enfants disaient. Le fil conducteur qui me guida intuitivement à l’analyse presqu’un un quart de siècle plus tard fut cette révélation : un autre dire se cachait dans le dire, et il était possible de l’entendre ! Derrière l’énoncé, l’énonciation ! Je lu « Le cas Dominique » ; je me souviens avoir été stupéfaite par le double sens qu’avait eu pour le patient le  prénom « Sylvie – s’il vit » et à l’éclairage apporté par cette équivoque sur le cas Dominique. C’est aussi au cours de mon adolescence que j’ai lu Freud pour la première fois : je dévorais  « L’interprétation des rêves », Freud décryptait le latent derrière le manifeste, cela semblait parfois magique tant les interprétations étaient lumineuses. « Psychopathologie de la vie quotidienne » me passionna,  lapsus, rêves, actes manqués manifestaient un vouloir dire inconscient. Ça parle malgré soi, ça veut dire malgré tout, et ça peut être entendu ! Qu’ai-je fait de cet enseignement ? Je n’en ai rien voulu savoir pendant les longues années chaotiques qui ont suivi…Jusqu’au jour où je racontais en toute « innocence » un cauchemar à ma sœur D. : « je suis dans ma maison, elle est complètement inondée, tout est détruit, sauf ma carte d’identité, il faut que j’avertisse les autres d’un danger, mais où sont les autres, il n’y a personne à qui le dire ». D. me répondit : « mais moi je t’entends ! ». Stupéfaction. J’étais donc sourde à moi-même ! Elle accusait réception d’un dire dont je compris le sens pour la première fois. Cela faisais des mois qu’elle me conseillait de faire une analyse, à quoi je rétorquais que ça ne servirai à rien car mes malheurs avaient des causes objectives, j’allais très bien, c’est les circonstances de ma vie qui clochaient et blablabla, et blablabla… J’ai commencé une analyse quelques mois après lui avoir raconté ce rêve, mais pas parce que j’avais réalisé que j’allais vraiment très mal. J’ai été poussée par le désir de décrypter l’insu qui me consumait le jour où j’  « entendis » consoner deux signifiants, l’un ayant trait au père et l’autre à l’homme désigné comme objet de ma passion mortifiante. Révélation ! Cette consonance signifiante s’était imposée comme ayant un sens caché… Mais ceci est une autre histoire !

Dans ce temps du début de l’analyse, je divorçais, je m’inscrivais en fac de psycho, lisais Freud. Et D. m’envoya tous les séminaires de Lacan ! Je crois que je n’avais jamais entendu parler de Lacan avant de recevoir ces kilos de lecture. « Ma rencontre avec Lacan » coïncide avec  mon engagement dans l’analyse. Je me suis mise à lire Lacan comme on lit un trésor de littérature écrit en langue étrangère. Je crois que je ne comprenais pas grand-chose,  mais il parlait du langage « dont nous nous servons comme d’un très mauvais instrument » (Sem.I, p.8), et je fus irrésistiblement intéressée par son discours, renouant avec la quête adolescente laissée en attente durant ces longues années consacrées à jouir du symptôme. « Fini de rire ! » exhorte Lacan dès son premier séminaire. Je l’entendis. Je me mis au travail. Cure analytique, université, collège clinique, cartel, pratique clinique …toujours avec Lacan. Un transfert de travail suscité par ses écrits, lus ou plutôt entendus depuis que je ne suis plus sourde, voilà l’effet de ma rencontre avec Lacan. Je crois que cette rencontre a été préparée  des années auparavant par les « leçons » de Françoise Dolto à la radio, et ma lecture de Freud, lesquelles m’ont enseigné l’écoute du dire caché, la lecture entre les lignes, le goût de l’énigme et de sa résolution.


Ma « rencontre », par @riplio

30 novembre 2009

Je pense avoir autant choisi Lacan que celui-ci a choisi de me rencontrer !

Quand on parle de Lacan, soyons clair, on parle de psychanalyse.

Il s’agit donc d’un proche qui me dirigea « vers » Lacan, au moment où je traversai une passe clairement difficile!
Il s’agissait pour moi de lutter face à un symptôme, là où d’autres psy et des médicaments n’avaient eu que très peu d’effets.
De ce fait, je suis aujourd’hui en analyse, en tant que patient donc, et je travaille pas mal pour réduire l’impact que ce symptôme a sur ma vie. Je n’ai que très peu d’échos sur les études de Lacan, mais je suis sûr d’une chose, c’est d’avoir choisi la meilleure méthode pour m’en sortir.
J’ose même espérer dire réussir ma vie, et réaliser la plupart des rêves et des ambitions qui sommeillent en chacun d’entre nous !

Par @riplio


Lacan en Fumeur de Havane, par Annick Brauman

27 novembre 2009

Did I met him, seriously? Jamais, ou alors pas encore.

Lacan him self, “certainement pas”. Pourtant j’aurais pu. 1975, l’année du Séminaire XXII, R.S.I.

Il était à l’horizon, un nom à l’horizon, de l’autre côté de quelque chose d’infranchissable.

En deçà, la dérive. Feutrée, commune, dans un certain usage de ce temps : cercle des jeunes gens assis murmurant « sociologie, ethnologie, MargueriteDurasilenparleLacan ».

On ne le lisait pas, on le fumait. Moi pas, je ne le fumais même pas.

Je pris l’initiative mémorable de nous aérer. Une descente de la Lesse, quelque chose comme le delta du Mékong pour le prix d’une rivière ardennaise. Nous le vécûmes comme ça. Lacan, invisible, fumait derrière.

Après tout j’étais snob, du moins c’est le cachet que je donnais depuis longtemps à mon impayable, à mon palpable malaise : l’Album Zutique édition Pauvert à 12 ans cadeau d’anniversaire, puis Verlaine avec Baudelaire premières amours, Jean Genet été 68, d’un balcon en surplomb sur les feux de l’université et la Recherche du Temps Perdu à New York l’été suivant –« tu n’as rien vu de New York »-.

Après il fallut aller à l’université et puis travailler. Je passe. Années gelées, franchement ennévrosées.

Je fumais des cigarettes, des gauloises bleues sans filtre, ou alors un peu plus fort, façon Sartre, des boyard papier maïs.

J’arrêtai brutalement, du jour au lendemain, dans une tentative déterminée pour séparer ma vie de ses saisons d’ennui, de mauvaise gagne et de demi façon.

A chacun sa manière de descente aux enfers. J’eus la mienne. Entre passages à l’acte et acting out, Lacan frappait, tel le Commandeur, à la porte du temps qui vient. Je trouvai un passeur et dans l’effroi je me présentai enfin pour traverser la rivière. Lacan en face était mort mais son nom fumait encore. Il m’en reste aujourd’hui quelque chose. Un petit nuage ?

Tracé depuis Bruxelles, à la pointe bic des Journées 38, siglée « l’analyste ne s’autorise que de lui-même ».


Comment j’ai rencontré Lacan, par @mcpm75

23 novembre 2009

J’ai rencontré Lacan en lisant cette phrase de « L’Etourdit » :

« Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit de ce qui s’entend. »

Brève rencontre qui ne cesse pas.

Par Marie-Christine Patureau Mirand


Tarifs, par Kanulaar

21 novembre 2009
un samedi après-midi d’hiver le froid et l’ennui nous avaient conduit
mes filles et moi, à la bibliothèque municipale. Et, me concernant, au
rayon Psychologie. je choisis Les « Ecrits ». Et en commençai la lecture
debout. Un peu à la façon dont Karl Lagerfeld préconise dans le beau
documentaire de Gérard Miller de mener une cure. Je fus happé et
compris dès les premières lignes que ce ne serait pas un survol, le
temps pour mes filles d’une BD. Que je n’avais pas les jambes de Karl
Lagerfeld. Que debout ou assis, la BM n’était pas le lieu pour
poursuivre une telle lecture. Que j’allais devoir emprunter ce livre.
Que n’ayant pas de carte de bibliothèque, j’allais devoir en faire
établir une. Surtout, que j’étais ramené à ma propre analyse.

Car je suivais une analyse trois fois par semaine et il y était question
à l’époque de mon embarras, ma réticence à accepter les cartes
toujours plus nombreuses que la société nous propose: de crédit,
de fidélité, de membre…
De quoi travailler…
D’ailleurs, à-propos d' »être encarté », l’analyste entretenait le feu, me
glissant: « comme ces dames »
Lacan valait bien une carte. Quant à cesser de fonctionner à un tarif
insuffisant… première leçon in vivo.

Pour ne pas l’oublier, par Miquel Bassols

19 novembre 2009

Il faut l’étincelle du transfert pour que l’expérience de l’inconscient devienne une réalité et qu’elle allume sa traînée de poudre. C’est une étincelle que, au moment même, se montre toujours comme une rencontre contingente, mais elle se démontre aussi comme nécessaire considérée après coup. Il faut y ajouter quelque chose de l’impossible à supporter, ce que nous désignons d’habitude comme le « symptôme », pour que ce mélange obtienne des effets éruptifs, d’une véritable passion de savoir. Ou même, ce qui peut être plus compliqué, de passion de la vérité sans savoir pourquoi.

C’est ce qui m’était arrivé à mes seize ans, quand le pays se débattait contre sa propre obscurité a la fin du franquisme et moi contre la mienne à la fin d’un baccalauréat point calme. L’image qui vient maintenant pour chiffrer cette rencontre, celui qui avait produit la précipitation du mélange, procède d’un cadeau familial, le cadeau fait par une soeur, un vrai cadeau : un exemplaire de la « Psychopathologie de la vie quotidienne » de Sigmund Freud dans l’édition espagnole de Alianza Editorial. C’était une édition de poche avec une illustration en couverture très suggestive : le dessein en encre noire d’une main avec le doigt levé et un fil rouge avec un noeud lié à la mi-hauteur. Un noeud pour ne pas oublier.

Pour ne pas oublier quoi ? Il fallait ouvrir le livre pour commencer à le savoir. Et le lecteur avait commencé à le savoir, à lire avec passion, sans savoir pourquoi : Signorelli, la sexualité et la mort, aliquis, les femmes et les générations, l’oubli des noms propres et des mots étrangers, la pluralité du sens, l’équivoque et les souvenirs de l’enfance, l’oubli collectif et les « ponts de mots », la jouissance sexuelle et les lois phonétiques, la foi des parents et la répétition, le style et le non-sens, l’intérieur et l’extérieur, le symptôme et la rencontre du nouveau… Chaque élément menait par un chemin ou l’autre au noeud de la propre histoire et du propre malaise.
Cependant, l’amour au savoir menait alors en première instance au lieu où l’on supposait que ce savoir se logeait, à l’Université, celle de Psychologie s’il s’agissait de suivre les noeuds du fil rouge en question : Great Expectations, comme disait le titre d’une pièce de jazz qui accompagnait ces lectures. Il avait suffi de quelques mois pour éprouver la déception la plus décourageante et pour presque perdre le fil dans ces grandes expectatives. Qu’est-ce qu’ils avaient à voir les « deux sigma d’écartement de la moyenne d’adaptation », le « conditionnement palpébral » ou la « synapse neuronale » avec ce noeud qui avait été formé pour moi entre le symptôme, le savoir et la vérité ? En plus, ce semblant de fausse science dont on revêtait une idéologie soutenue maintes fois dès l’imposture, même avec quelques gestes progressistes, comment songeait-il même arriver à considérer l’existence de ce noeud que j’essayais de détordre il y a avait déjà quelque temps ? Sauf quelques exceptions très honorables, le discours général allait de l’éclectisme le plus dilué au réductionnisme empiriste les plus banal. Presque rien qui évoquait la psychanalyse et, quand on en parlait, ce n’était que pour la confiner aux annales de l’histoire de la psychologie. Disons en passant que la situation n’est pas aujourd’hui, trente ans après, très différente. À cette époque, cette chute des idéaux du savoir avait eu la vertu de porter mon attention à l’épistémologie, aux conditions dont un savoir devient constitué comme une science, à l’étude du langage et des langues, et de commencer à chercher hors ce milieu universitaire un rapport avec le savoir plus vif et véritable.

Une citation attrapée au vol comme exorde dans un livre critique avec la psychologie académique, conseillé par l’une de ces exceptions honorables, reste aujourd’hui soulignée en rouge : « La psychologie est véhicule d’idéaux : la psyché n’y représente plus que le parrainage qui la fait qualifier d’académique. L’idéal est serf de la société ». La citation, aussi explosive pour moi dans ce contexte comme précise dans l’actualité, était signé d’un tel Jacques Lacan et avait resté comme le fil conducteur des lectures de cette première année à l’Université. C’était un fil à l’attente d’un nouveau noeud, qui ne devait pas tarder beaucoup à se former. La phrase touchait en plein le coeur même du symptôme : la servitude des idéaux transmis dans l’histoire familiale, le rejet de ces idéaux qui assiégeaient un désir difficile à être entendu, sinon impossible à dire, un « parrainage » qui délattait ce désir comme orphelin, le malaise qui produisait tout cela face a tout académisme d’imposture.

Disons que le semblant de science dont on revêtait la psychologie académique était alors moins prétentieux ; les TMC – « Thérapies de Modification de la Conduite » – de l’époque disaient mieux, bien qu’avec la même brutalité, ce que les TCC d’aujourd’hui pensent camoufler sous le nom de « Thérapies Cognitivo Comportamentales ». Les contradictions étaient, quand même, fécondes pour quelqu’un qui savait les écouter avec une certaine inquiétude : au même temps que l’on conseillait la lecture et l’idéologie autoritaire de « Walden Two » de Skinner, on commentait la cruauté impactant de « L’Orange Mécanique » de Kubrik ; au même temps que l’on proposait la modification de la conduite phobique par des techniques d’implosion tout en confrontant systématiquement le sujet face à l’objet phobique, on flirtait avec le progressisme de Cooper et Laing dans le traitement de la folie.

L’hétéroclite du panorama ne cachait pas quand même le projet général, qui prenait déjà la forme de programme universitaire, d’ignorer et de faire ignorer la psychanalyse dans les départements de la psychologie scientifique. Dans le bureau de côté, le « Psychodinamiques » qui diluent aujourd’hui le nom et l’expérience de la psychanalyse dans l’éclectisme des psychothérapies conseillaient alors, sans détours, de ne pas lire Jacques Lacan : trop difficile, trop abstrait, trop intellectuel, trop incompréhensible, trop… Et moi, qui tout en suivant le fil rouge de la lettre avait déjà lu cette maxime de José Lezama Lima, « seul le difficile est stimulant », je ne pouvais que rencontrer déjà le texte de Jacques Lacan.

Il avait été une rencontre en compagnie de quelqu’un d’autre qui cultivait aussi le difficile et le stimulant dans la conversation amicale et il avait été aussi une rencontre dans la solitude de la lecture. Il avait été une rencontre avec la médiation de quelqu’un qui avait été aussi touché par ce texte, dans un autre pays et moment, le psychanalyste argentin Oscar Masotta qui avait commencé à Barcelone et d’autres villes de l’Espagne un travail de lecture et de propulsion d’un mouvement qui devrait constituer après le creuset d’une école lacanienne dans le pays. Sans cette conjoncture, faite d’interstices et de fractures, il n’y aurait pas eu pour moi de rencontre possible avec la discipline freudienne, avec l’expérience et le discours de la psychanalyse. Je savais donc que ces conditions sont de structure et que, par la même raison, une rencontre telle ne pourrait jamais être subsumé ni organisé dans les formes universitaires du savoir, que sa nature propre et sa transmission supposent l’existence d’un espace interstitiel pour la faire possible. Ce que l’Ecole de Jacques Lacan, comme concept et comme expérience, pose comme condition de transmission et de formation.

La rencontre avec le texte de Jacques Lacan avait été donc la chose la plus pareille à une expérience traumatique, une rencontre à contretemps, avec le soudain incompréhensible, mais réalisé à la fois lentement, avec l’éclat patient de ce qui n’est pas compris mais qui touche le plus intime de l’être, le plus ignoré de soi-même. Comment pouvait-il un texte subvertir d’une façon tel le sens commun et produire des effets aussi stimulants, exiger un travail aussi opaque quelques fois, aussi à tâtons, et offrir en fin un éclair aussi certain, aussi direct et de conséquences aussi singulières que pragmatiques ? Non, il n’y avait rien d’intellectuel dans tout cela, ce texte appelait à l’action sur le sujet dans sa singularité la plus intime et irréductible, elle l’incluait dans sa logique d’une façon qu’aucune autre théorie ni programme « révolutionnaire » pouvait même ni imaginer. Des longs après-midi de conversations, des nuit et des nuits de lectures, des matins et des matins se levant à tâtons et avec le sentiment de fracture subjective qui arrivait dans ses résonances jusqu’à chaque coin de la vie. Et il fallait, à son tour, écouter de quelque futur exécutif éveillé du monde psi que tout cela n’étaient que des rhétoriques vides, des pirouettes dans l’air quand le monde réel de la maladie et de la folie exigeait des actions concrètes, seulement vérifiables dans l’empirie objectivée du laboratoire comportemental et scientifique.

Mais, qu’est-ce qu’il pouvait avoir de plus réel que cette division subjective que j’incarnait moi-même ? Qu’est-ce qu’il pouvait avoir de plus concret et de plus vérifiable que cet effet de la lettre et du signifiant sur le sens vacillant de la vie ou quelque chose de la folie et de sa structure était devenu évident ? De ce réel et de ces effets, on pouvait en déduire les lois d’une clinique beaucoup plus rigoureuse que d’une description empirique et évaluable quelconque.
Voilà le noeud, le noeud à ne pas oublier, le noeud qu’il fallait défendre avec une passion pour la vérité qui devait faire quelques fois de ravages pour le sujet lui-même. Un temps après, cette passion de la vérité se démontrait comme un véritable obstacle pour opérer dans l’expérience analytique. Mail il fallait encore voir la façon de faire et de défaire ce noeud, la façon de le refaire pour l’expliquer à soi-même et l’expliquer a un autre.

De là à s’allonger dans un divan, il n’y avait qu’un pas, celui que le souffrance du symptôme exige de faire pour commencer une analyse. Et l’expérience de s’allonger das un divan et de parler à l’Autre – « il faut apprendre à parler à nouveau », je me souviens d’avoir dit au début – commençait à changer très tôt le pathos de la vérité dans une certaine joie dans le gay savoir et dans des effets de formation dans lesquels je rencontrais le désir de l’analyste, c’est-à-dire le d’occuper cette étrange position qui est celle de l’analyste. Bien sûr, les conséquences de ce passage n’étaient pas extraites d’un jour à l’autre. Trois périodes d’analyse avec trois analystes différents – la troisième est la bonne, en treize années et hors de mon pays – et un engagement toujours constant dans le mouvement psychanalytique ont tissé les fils. Le noeud, à ne pas oublier, est formé maintenant par l’expérience analytique et mon lien de travail avec la Escuela de Orientación Lacaniana qui fait présent le discours analytique en Espagne dans le cadre de l’Association Mondiale de Psychanalyse, celle qui a impulsé et oriente avec son désir Jacques-Alain Miller.

Je sais aujourd’hui que je dois à cette expérience avoir pu me délivrer des effets mortifiants de ces symptômes, mais aussi d’avoir pu rencontrer un mode de dire qui touche et puisse traiter la division du sujet, celle que j’avais soufferte avec toute ma passion, en lui donnant une place plus digne. C’est une expérience qui ne pourra jamais se réduire à une acquisition de savoir, une acquisition que, il est vrai, ne cesse pas de se produire de façons diverses une foi rencontré ce désir inédit de l’analyste et d’avoir opéré avec lui dans la pratique. « Un mode de dire » est ce que Jacques Lacan avait formalisé dans le Discours de l’analyste, c’est aussi un style de vie qui part de ce qui n’a pas de forme pour se former dans la singularité de chaque être qui parle, c’est aussi ce que chaque psychanalyste doit faire présent aujourd’hui pour être à l’hauteur de la subjectivité de son époque.

L’expérience analytique m’a appris, cependant, qu’un mode dire tel, intempestif par rapport aux idéaux de l’époque, ne subsiste que dans la mesure où il échoue de la bonne manière, sans arriver à la suffisance de sa réussite, qu’il n’obtient sa place et ses véritables conséquences sur le réel que dans son « ne cesser de ne pas y réussir » . C’était l’idée, plutôt anti-exitiste, de Jacques Lacan : « Mais si la psychanalyse donc réussit, elle s’éteindra de n’être qu’un symptôme oublié. (1)» Le psychanalyste, plus que personne, sait l’importance du manqué pour faire possible le traitement du sujet et ne pas l’effacer du réel avec la solution la plus rapide et efficace.

C’est pour ne pas l’oublier qu’il convient de défendre aujourd’hui l’expérience de la psychanalyse de sa réduction à une pratique et un savoir évaluables selon les critères généraux de l’efficacité utilitariste.

(1) Jacques Lacan, “La troisième”, dans les Lettres de l’Ecole freudienne de Paris, n°16, 1975, pp.177-203.

Miquel Bassols
Novembre 2005
Paru dans « La règle du jeu » nº 30, Paris, Janvier 2006, pp. 86-91
http://miquelbassols.blogspot.com/


Une rencontre conjuguée à tous les temps, par Mariamna de Rostoll

18 novembre 2009

Le Docteur Jacques Lacan. Ceux qui m’en parlent et ceux qui l’ont connu, ceux qui le lisent et ceux qui l’ont entendu parler.

Je suis allée en analyse parce que j’allais mal. Non parce que j’avais été sous le coup de séduction d’un professeur de philosophie en terminale, comme ça semble souvent le cas, moins encore en université de psychologie que je n’ai pas fréquenté. Ce ne fut pas un engagement sur le savoir. Je lisais bien quelques revues, quelques livres, mais ça ne m’accrochait pas, j’étais bien trop paresseuse. Je me souvenais de quelques aphorismes : « le mot est le meurtre de la chose », ou bien « l’inconscient est structuré comme un langage », et aussi ce passage, dans le Séminaire I, où il disait quelques petites choses de pas gentilles sur les psychanalystes. Je devais trouver qu’un monsieur qui est psychanalyste mais ne les aime pas mérite confiance.

Ça a été la rencontre d’un lieu, la rencontre d’une présence. Rapidement, ce lieu et cette présence se raccrochaient à Lacan. Une photo au mur, puis, alors, un livre, sur les conseils de l’analyste : le Séminaire XX. Y’a de l’Un, Y’a de l’Un, on n’entend que ça ! La mystique, les différences des sexes, il décrivait un monde qui m’était familier. Ce ne fut pas ma rencontre avec Lacan, c’était une rencontre avec un bout de mon existence avec laquelle je vivais sans en vouloir savoir quoi que ce soit. Mes premières lectures de Lacan coïncident d’avec mes premières séances en analyse : je parlais, je voulais un petit trombone musical pour attacher les feuilles volantes qui m’avaient amenées en automne à venir chez cet analyste. L’analyste et Lacan.

« On ne vient pas chez vous par mondanité » disais-je un jour à l’analyste. « On n’allait pas chez Lacan par mondanité non plus » m’a-t-il dit à la suite.

Il m’a dit rapidement cet analyste qu’il avait été en analyse avec Lacan. Et ça m’a donné confiance. Cette confiance qui ne fut pas d’entrée, je ne savais tellement plus le sens des lettres et l’ordre des mots, la langue tremblait, et chez Lacan, la langue tremblait aussi, mais autrement. C’est cette langue que l’on déplace ou que l’on invente qui a continué le travail.

Il m’est arrivé d’en rencontrer un autre d’analyste. Il avait été aussi en analyse avec Lacan. Pas mieux à dire. Je l’ai quitté, cet analyste. Je suis revenu vers le premier. Mais j’ai acquis l’idée que chaque rencontre ne se vaut pas, et qu’il n’y avait pas de hasard : il y a les analystes qui ont reçu quelque chose de Lacan parce qu’ils pouvaient le recevoir, et ceux qui ont reçu quelque chose de Lacan qui s’appellerait l’onction phallique ! Plus tard, je serais contente d’entendre Jacques-Alain Miller se plaindre de ces psychanalystes qui vivent d’une rente. Jacques-Alain Miller partage avec Lacan de ne pas être un gentil avec les psychanalystes. Il ne veut pas quelque chose pour LA psychanalyse, il crée quelque chose parce qu’il a rencontré Lacan, quelle qu’en soit la forme. Il doit bien des fois le rencontrer encore, autrement. Je reconnais que je suis sensible à cette démarche. Lacan au présent, aujourd’hui, c’est aussi avec Jacques-Alain Miller. Lacan ne lui a pas donné un passeport, ou ce passeport est bien vicieux (mais ça, mes amies, c’est entre eux !). Il lui a donné la possibilité d’inventer d’une écriture qui soit la sienne pour en continuer la recherche. Celle d’un écrivain comme le disait Catherine Clément quelque part.

Ma rencontre avec Lacan se vit au présent. Je passe des mois sans lire une ligne de Lacan. Je passe des mois en ne quittant plus Lacan. Il y a des moments de la vie où l’on rencontre Lacan autrement. Il y a des passages de Lacan que je ne serais plus capable de lire aujourd’hui, peut-être que ça reviendra. Lacan est changeant, comme mon existence.

Lacan a un nom qui est beau écrit sur une feuille, le graphisme des lettres. Il a un nom rare, il le porte, ce nom, il l’écrit chaque fois de manière différente. Lacan, c’est un L, quand j’y suis, là, ouvrir une page, le lire. Lacan sans une psychanalyse, je ne comprends pas bien. Lacan, c’est au début une rencontre avec l’analyse, avant, c’était du vagabondage, mais pas qu’avec Lacan.

Le Lacan que j’imagine, c’est un homme fragile. C’est un homme qui devait être seul, parfois. C’est un homme qui devait en savoir beaucoup, et qui devait distinguer ce qui méritait que l’on en parle ou que l’on en parle pas. Ce devait être un homme qui avait une expérience très aiguë du réel, un rapport au réel, un rapport à l’objet a, son objet. Un homme qui devait ne pas se plier face au réel. Et ça, je crois, c’est rare. Ce qui est rare aussi, c’est de le mettre au travail pour tout le monde. Je m’estime chanceuse. Un homme qui était disponible comme cela, toujours, il n’y en a pas des masses, qui ne sont que suiveuses.

Une rencontre avec Lacan, une rencontre avec l’analyse. Il y a eu cela aujourd’hui, lorsqu’il a fallu reprendre le chemin de l’existence un peu comme chaque matin. Je me dis, c’est une chance. Je me dis, quelle chance. De ma rencontre avec Lacan, à l’adjectif féminin possessif, je n’ai qu’à dire ma chance. Mais il y a mieux encore, des lignes de Lacan m’ont probablement rattrapée d’un précipice très proche. Que Lacan soit écrit, pour moi, c’est un soutien. C’est encore une autre chance.

Le 18 novembre 2009,
Mariamna de Rostoll

http://minellorange.wordpress.com/


Un dé-chiffrage, par olirip

18 novembre 2009

C’était une fin d’après-midi de juin à Montpellier, caniculaire. Mon programme de révision était déjà bien entamé depuis quelques semaines et le « taupin » voulait sortir de son terrier… Direction le centre ville, la Place de la Comédie et la librairie, mais cette fois, je ne monterais pas au troisième étage, rayon math, je m’arrêterais en chemin. Je voulais faire autre chose, me dégourdir l’esprit, lire quelque chose d’autre…

J’ai toujours cru que l’on pouvait bluffer un analyste. Je pensais qu’on pouvait rejouer avec lui le « vol au dessus d’un nid de coucou » ou la « guérison des Dalton », mais sans Lucky Lucke. C’était mon opinion si le sujet de la psychanalyse était évoqué dans une discussion, comme on a une opinion sur l’actualité, la politique ou le sport. En même temps, je ne niais pas que cela pouvait marcher, si on jouait le jeu, et je n’étais pas si mordu par la science, la vraie, pour dénigrer tout ce qui la dépassait.

Ma curiosité me poussât donc ce jour là au rayon Psychanalyse, d’où je sortis avec « Introduction à la psychanalyse » de Freud et un petit livre, type « Que-sais-je ? »,  histoire de me faire une idée rapide sur la question. Pauvre naïf, à peine as-tu plongé tes yeux dans ces lignes que tu peinais à en sortir ! J’ai lu avec enthousiasme, sans pudeur, sans résistance. Les jours passaient et ma bibliothèque se remplissait des petits livres bleus, marrons ou rouges de Freud. C’était le moment de détente : « je lis ce chapitre et après, je travaille »… Dans mes lectures transverses, le nom de Lacan était évoqué, souvent pour dire que c’était difficile à lire, à comprendre. Je crois que ma rencontre avec Lacan se situe là…

Peut-être mon scepticisme refaisait-il surface, mais je me souviens que c’est justement parce que c’était dur, que ce n’était pas conseillé à un débutant, que j’ai immédiatement décidé de lire Lacan, par défi. Pauvres révisions ! Je me dispersais à tout vent ! Mais deux semaines après mon premier Freud, j’achetais le livre un du séminaire, logique, et les Écrits en poche. J’ai tout lu, en peu de temps je crois, fasciné par tout ce savoir, cette érudition dont je ne soupçonnais pas l’existence, en aucun lieu. La linguistique ? Mais qu’est ce donc ? Hegel ? … ?  Des mathématiques ?  Formidable ! Des graphes, des concepts ? yes please!

Mon enthousiasme n’a jamais vraiment faibli, je me souviens d’ailleurs de l’année scolaire qui suivit ce mois de Juin, toujours en « prépas », où je rentrais chez moi à midi pour lire le livre dix-sept du séminaire et où jamais je n’ai travaillé avec autant d’efficacité, à la fois mes cours et mes lectures. Je n’ai pas pour autant abandonné les mathématiques bien sûr, je dirais même au contraire…

Presque quinze ans après, je crois que je lisais tout cela comme une bande dessinée où je faisais moi-même les dessins, griffonnant, annotant, schématisant ces belles pages. Je me souviens encore de mes classeurs de cours où la marge était remplie de phrases, de mathèmes, issus des livres de ou sur Lacan, sur lesquels j’essayais de mettre un sens. Plus tard je repenserais à ce moment en lisant ce que Lacan disait du déchiffrage… D’ailleurs, en me faisant sortir le nez de mes mathématiques, ne m’avait-il pas dé-chiffré ?

olirip