Une rencontre conjuguée à tous les temps, par Mariamna de Rostoll

Le Docteur Jacques Lacan. Ceux qui m’en parlent et ceux qui l’ont connu, ceux qui le lisent et ceux qui l’ont entendu parler.

Je suis allée en analyse parce que j’allais mal. Non parce que j’avais été sous le coup de séduction d’un professeur de philosophie en terminale, comme ça semble souvent le cas, moins encore en université de psychologie que je n’ai pas fréquenté. Ce ne fut pas un engagement sur le savoir. Je lisais bien quelques revues, quelques livres, mais ça ne m’accrochait pas, j’étais bien trop paresseuse. Je me souvenais de quelques aphorismes : « le mot est le meurtre de la chose », ou bien « l’inconscient est structuré comme un langage », et aussi ce passage, dans le Séminaire I, où il disait quelques petites choses de pas gentilles sur les psychanalystes. Je devais trouver qu’un monsieur qui est psychanalyste mais ne les aime pas mérite confiance.

Ça a été la rencontre d’un lieu, la rencontre d’une présence. Rapidement, ce lieu et cette présence se raccrochaient à Lacan. Une photo au mur, puis, alors, un livre, sur les conseils de l’analyste : le Séminaire XX. Y’a de l’Un, Y’a de l’Un, on n’entend que ça ! La mystique, les différences des sexes, il décrivait un monde qui m’était familier. Ce ne fut pas ma rencontre avec Lacan, c’était une rencontre avec un bout de mon existence avec laquelle je vivais sans en vouloir savoir quoi que ce soit. Mes premières lectures de Lacan coïncident d’avec mes premières séances en analyse : je parlais, je voulais un petit trombone musical pour attacher les feuilles volantes qui m’avaient amenées en automne à venir chez cet analyste. L’analyste et Lacan.

« On ne vient pas chez vous par mondanité » disais-je un jour à l’analyste. « On n’allait pas chez Lacan par mondanité non plus » m’a-t-il dit à la suite.

Il m’a dit rapidement cet analyste qu’il avait été en analyse avec Lacan. Et ça m’a donné confiance. Cette confiance qui ne fut pas d’entrée, je ne savais tellement plus le sens des lettres et l’ordre des mots, la langue tremblait, et chez Lacan, la langue tremblait aussi, mais autrement. C’est cette langue que l’on déplace ou que l’on invente qui a continué le travail.

Il m’est arrivé d’en rencontrer un autre d’analyste. Il avait été aussi en analyse avec Lacan. Pas mieux à dire. Je l’ai quitté, cet analyste. Je suis revenu vers le premier. Mais j’ai acquis l’idée que chaque rencontre ne se vaut pas, et qu’il n’y avait pas de hasard : il y a les analystes qui ont reçu quelque chose de Lacan parce qu’ils pouvaient le recevoir, et ceux qui ont reçu quelque chose de Lacan qui s’appellerait l’onction phallique ! Plus tard, je serais contente d’entendre Jacques-Alain Miller se plaindre de ces psychanalystes qui vivent d’une rente. Jacques-Alain Miller partage avec Lacan de ne pas être un gentil avec les psychanalystes. Il ne veut pas quelque chose pour LA psychanalyse, il crée quelque chose parce qu’il a rencontré Lacan, quelle qu’en soit la forme. Il doit bien des fois le rencontrer encore, autrement. Je reconnais que je suis sensible à cette démarche. Lacan au présent, aujourd’hui, c’est aussi avec Jacques-Alain Miller. Lacan ne lui a pas donné un passeport, ou ce passeport est bien vicieux (mais ça, mes amies, c’est entre eux !). Il lui a donné la possibilité d’inventer d’une écriture qui soit la sienne pour en continuer la recherche. Celle d’un écrivain comme le disait Catherine Clément quelque part.

Ma rencontre avec Lacan se vit au présent. Je passe des mois sans lire une ligne de Lacan. Je passe des mois en ne quittant plus Lacan. Il y a des moments de la vie où l’on rencontre Lacan autrement. Il y a des passages de Lacan que je ne serais plus capable de lire aujourd’hui, peut-être que ça reviendra. Lacan est changeant, comme mon existence.

Lacan a un nom qui est beau écrit sur une feuille, le graphisme des lettres. Il a un nom rare, il le porte, ce nom, il l’écrit chaque fois de manière différente. Lacan, c’est un L, quand j’y suis, là, ouvrir une page, le lire. Lacan sans une psychanalyse, je ne comprends pas bien. Lacan, c’est au début une rencontre avec l’analyse, avant, c’était du vagabondage, mais pas qu’avec Lacan.

Le Lacan que j’imagine, c’est un homme fragile. C’est un homme qui devait être seul, parfois. C’est un homme qui devait en savoir beaucoup, et qui devait distinguer ce qui méritait que l’on en parle ou que l’on en parle pas. Ce devait être un homme qui avait une expérience très aiguë du réel, un rapport au réel, un rapport à l’objet a, son objet. Un homme qui devait ne pas se plier face au réel. Et ça, je crois, c’est rare. Ce qui est rare aussi, c’est de le mettre au travail pour tout le monde. Je m’estime chanceuse. Un homme qui était disponible comme cela, toujours, il n’y en a pas des masses, qui ne sont que suiveuses.

Une rencontre avec Lacan, une rencontre avec l’analyse. Il y a eu cela aujourd’hui, lorsqu’il a fallu reprendre le chemin de l’existence un peu comme chaque matin. Je me dis, c’est une chance. Je me dis, quelle chance. De ma rencontre avec Lacan, à l’adjectif féminin possessif, je n’ai qu’à dire ma chance. Mais il y a mieux encore, des lignes de Lacan m’ont probablement rattrapée d’un précipice très proche. Que Lacan soit écrit, pour moi, c’est un soutien. C’est encore une autre chance.

Le 18 novembre 2009,
Mariamna de Rostoll

http://minellorange.wordpress.com/

3 Responses to Une rencontre conjuguée à tous les temps, par Mariamna de Rostoll

  1. […] Ce blog est né hier, après avoir publié mon Dé-chiffrage, sur Twitter. Vous avez été assez nombreux à vouloir raconter aussi votre rencontre et la publier. On inaugure ce blog avec la contribution de Mariamna de Rostoll, “Une rencontre conjuguée à tous les temps“… […]

  2. clemence dabo dit :

    texte magnifique, sensible où s’entendent les vibrations de la rencontre. Lacan est là. merci !

  3. eoik dit :

    oui, très beau témoignage, très proche, que je relis, redécouvre

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