Lacan en Fumeur de Havane, par Annick Brauman

Did I met him, seriously? Jamais, ou alors pas encore.

Lacan him self, “certainement pas”. Pourtant j’aurais pu. 1975, l’année du Séminaire XXII, R.S.I.

Il était à l’horizon, un nom à l’horizon, de l’autre côté de quelque chose d’infranchissable.

En deçà, la dérive. Feutrée, commune, dans un certain usage de ce temps : cercle des jeunes gens assis murmurant « sociologie, ethnologie, MargueriteDurasilenparleLacan ».

On ne le lisait pas, on le fumait. Moi pas, je ne le fumais même pas.

Je pris l’initiative mémorable de nous aérer. Une descente de la Lesse, quelque chose comme le delta du Mékong pour le prix d’une rivière ardennaise. Nous le vécûmes comme ça. Lacan, invisible, fumait derrière.

Après tout j’étais snob, du moins c’est le cachet que je donnais depuis longtemps à mon impayable, à mon palpable malaise : l’Album Zutique édition Pauvert à 12 ans cadeau d’anniversaire, puis Verlaine avec Baudelaire premières amours, Jean Genet été 68, d’un balcon en surplomb sur les feux de l’université et la Recherche du Temps Perdu à New York l’été suivant –« tu n’as rien vu de New York »-.

Après il fallut aller à l’université et puis travailler. Je passe. Années gelées, franchement ennévrosées.

Je fumais des cigarettes, des gauloises bleues sans filtre, ou alors un peu plus fort, façon Sartre, des boyard papier maïs.

J’arrêtai brutalement, du jour au lendemain, dans une tentative déterminée pour séparer ma vie de ses saisons d’ennui, de mauvaise gagne et de demi façon.

A chacun sa manière de descente aux enfers. J’eus la mienne. Entre passages à l’acte et acting out, Lacan frappait, tel le Commandeur, à la porte du temps qui vient. Je trouvai un passeur et dans l’effroi je me présentai enfin pour traverser la rivière. Lacan en face était mort mais son nom fumait encore. Il m’en reste aujourd’hui quelque chose. Un petit nuage ?

Tracé depuis Bruxelles, à la pointe bic des Journées 38, siglée « l’analyste ne s’autorise que de lui-même ».

4 Responses to Lacan en Fumeur de Havane, par Annick Brauman

  1. Costers dit :

    Magnifique écriture : du style, de l’humour et des petits nuages. Deviendra un classique !

  2. קיטור קטן dit :

    קיטור מעושן קצת …

  3. Edith Msika dit :

    Juste. Rare. Distinct.

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