Une bonne entente ? par C.

Ma rencontre avec Lacan

J’avais 13 ans. Je me souviens de ma mère repassant le linge familial en écoutant Françoise Dolto à la radio. Celle-ci était alors comme invitée chez nous, sa voix occupait tout l’espace de l’appartement parisien. Je pensais alors que cette émission était une sorte de leçon pour les mères de famille afin qu’elles apprennent à décrypter ce que leurs enfants disaient. Le fil conducteur qui me guida intuitivement à l’analyse presqu’un un quart de siècle plus tard fut cette révélation : un autre dire se cachait dans le dire, et il était possible de l’entendre ! Derrière l’énoncé, l’énonciation ! Je lu « Le cas Dominique » ; je me souviens avoir été stupéfaite par le double sens qu’avait eu pour le patient le  prénom « Sylvie – s’il vit » et à l’éclairage apporté par cette équivoque sur le cas Dominique. C’est aussi au cours de mon adolescence que j’ai lu Freud pour la première fois : je dévorais  « L’interprétation des rêves », Freud décryptait le latent derrière le manifeste, cela semblait parfois magique tant les interprétations étaient lumineuses. « Psychopathologie de la vie quotidienne » me passionna,  lapsus, rêves, actes manqués manifestaient un vouloir dire inconscient. Ça parle malgré soi, ça veut dire malgré tout, et ça peut être entendu ! Qu’ai-je fait de cet enseignement ? Je n’en ai rien voulu savoir pendant les longues années chaotiques qui ont suivi…Jusqu’au jour où je racontais en toute « innocence » un cauchemar à ma sœur D. : « je suis dans ma maison, elle est complètement inondée, tout est détruit, sauf ma carte d’identité, il faut que j’avertisse les autres d’un danger, mais où sont les autres, il n’y a personne à qui le dire ». D. me répondit : « mais moi je t’entends ! ». Stupéfaction. J’étais donc sourde à moi-même ! Elle accusait réception d’un dire dont je compris le sens pour la première fois. Cela faisais des mois qu’elle me conseillait de faire une analyse, à quoi je rétorquais que ça ne servirai à rien car mes malheurs avaient des causes objectives, j’allais très bien, c’est les circonstances de ma vie qui clochaient et blablabla, et blablabla… J’ai commencé une analyse quelques mois après lui avoir raconté ce rêve, mais pas parce que j’avais réalisé que j’allais vraiment très mal. J’ai été poussée par le désir de décrypter l’insu qui me consumait le jour où j’  « entendis » consoner deux signifiants, l’un ayant trait au père et l’autre à l’homme désigné comme objet de ma passion mortifiante. Révélation ! Cette consonance signifiante s’était imposée comme ayant un sens caché… Mais ceci est une autre histoire !

Dans ce temps du début de l’analyse, je divorçais, je m’inscrivais en fac de psycho, lisais Freud. Et D. m’envoya tous les séminaires de Lacan ! Je crois que je n’avais jamais entendu parler de Lacan avant de recevoir ces kilos de lecture. « Ma rencontre avec Lacan » coïncide avec  mon engagement dans l’analyse. Je me suis mise à lire Lacan comme on lit un trésor de littérature écrit en langue étrangère. Je crois que je ne comprenais pas grand-chose,  mais il parlait du langage « dont nous nous servons comme d’un très mauvais instrument » (Sem.I, p.8), et je fus irrésistiblement intéressée par son discours, renouant avec la quête adolescente laissée en attente durant ces longues années consacrées à jouir du symptôme. « Fini de rire ! » exhorte Lacan dès son premier séminaire. Je l’entendis. Je me mis au travail. Cure analytique, université, collège clinique, cartel, pratique clinique …toujours avec Lacan. Un transfert de travail suscité par ses écrits, lus ou plutôt entendus depuis que je ne suis plus sourde, voilà l’effet de ma rencontre avec Lacan. Je crois que cette rencontre a été préparée  des années auparavant par les « leçons » de Françoise Dolto à la radio, et ma lecture de Freud, lesquelles m’ont enseigné l’écoute du dire caché, la lecture entre les lignes, le goût de l’énigme et de sa résolution.

2 Responses to Une bonne entente ? par C.

  1. Ph Cousty dit :

    on pourrait prendre le titre du livre de Miller La psychanalyse et la vie pour parler de votre texte chère midite, si riche de coins et de recoins, de surprises, de ruptures joyeuses ou délicates.
    c’est mi dit, mais d’un dit qui est si juste.
    merci à vous
    Ph

  2. aubedelune dit :

    Tiens, tiens… »le goût de l’énigme et de la résolution » dis-tu !!! Ca me fait penser à un certain jeu au quel on s’est tous laissés prendre… Aurait-il à avoir avec ce « entendu » depuis que nous sommes moins sourds au changement et à la transparence?

    Quel joli travail que de « repasser le linge familial » en entendant ce qu’il y a à entendre…!!! Très beau texte ! Le désir est là… s’il vit encore pour longtemps de repasser …il sera toujours lumineux !

    aubedelune

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